Recouvrement judiciaireAuteur: Pauline THIBOUT de l'agence de recouvrement CAP RECOVERY

Si le recouvrement amiable d’une créance n’aboutit pas, la question se pose d’engager une procédure judiciaire dans l’objectif d’obtenir une décision de justice et de poursuivre le recouvrement forcé des condamnations pécuniaires.

Avant toute chose, il est important de mesurer l’opportunité de poursuivre par voie judiciaire. Plusieurs éléments doivent être passés au crible pour prendre la décision, tel que le montant de la créance, l’attitude du client débiteur et sa santé financière, les ressources disponibles pour engager et suivre la procédure, les chances de succès…

Une fois la décision prise, il est important de respecter les conditions de fond (I) et de connaître les règles de compétence des juridictions (II) pour éviter de voir sa demande rejetée.

Les conditions de fond pour engager une procédure

Les conditions de fond touchent les parties à la procédure et la créance.

Les conditions liées aux parties

Avant d’engager une procédure, il est indispensable de parfaitement identifier les parties. Cela permet de vérifier leur intérêt à agir ainsi que leur capacité, deux notions juridiques bien définies.

L’identification des parties

Le plus souvent, il y a deux parties à un procès : le demandeur et le défendeur. Le demandeur est celui qui engage l’action. Le défendeur est celui contre lequel l’action est engagée.

Dans le cadre du recouvrement judiciaire de créance, le demandeur est quasi systématiquement le créancier, et le défendeur le client défaillant qui n’a pas payé la facture.

Bien que les protagonistes soient connus par les personnes concernées, il faut juridiquement bien les identifier dans l’acte introductif (requête ou assignation). Le code de procédure civile liste les informations qui sont obligatoires pour identifier les parties (article 648), suivant qu’il s’agit du demandeur ou du défendeur, d’une personne physique ou morale.

Il s’agit des informations minimales requises. Toutes les informations complémentaires sont utiles, (notamment le numéro RCS pour les sociétés), particulièrement pour le défendeur car les obligations légales le concernant sont très légères.

Pourquoi est-ce important ?
Tout d’abord, parce qu’il s’agit d’une obligation légale. Le commissaire de justice (anciennement huissier) chargé de délivrer un acte ne contenant pas ces mentions pourrait refuser de le faire pour ne pas risquer de voir sa responsabilité engagée en cas de contestation. Le juge chargé de trancher le litige pourrait aussi débouter le demandeur de sa demande.
Ensuite, une mauvaise identification des parties lors de l’introduction de la procédure peut avoir de lourdes conséquences sur la suite. Si une décision est rendue à la demande d’une société qui n’existe pas (erreur dans la dénomination ou la forme juridique par exemple) ou contre une société ou une personne physique mal identifiée (adresse erronée, homonyme), l’exécution forcée sera compromise car la décision sera potentiellement inexécutable.
L’intérêt à agir
Le droit de former une demande en justice ou de se défendre appartient à celui qui y trouve personnellement intérêt (article 31 du code de procédure civile).

Deux éléments viennent toutefois tempérer cette définition :
  • Premièrement, il ne faut pas que la demande ait déjà été jugée sur le fond. C’est l’application du principe de l’autorité de la chose jugée : un même litige ne peut être jugé qu’une seule fois sur le fond de celui-ci. Une personne peut avoir un intérêt à agir même si l’affaire a déjà été jugée, par exemple si elle n’a pas comparu au procès en cours. Son droit ne sera toutefois pas ouvert par application de ce principe.

  • Deuxièmement, la demande doit être introduite dans les temps. Il s’agit de l’application de la prescription. Une personne peut avoir intérêt à agir pour réclamer une somme d’argent mais son droit ne sera pas ouvert si la créance est prescrite. Par exception, la loi attribut le droit d’agir à des personnes spécialement désignées. C’est notamment le cas par exemple des acteurs des procédures collectives (mandataire, liquidateur, administrateur, commissaire à l’exécution du plan…) ou des syndics d’immeuble.
La capacité à agir

On distingue la capacité de jouissance et la capacité d’exercice.

La capacité de jouissance est définie comme étant l’aptitude à être titulaire du droit d’action, qui appartient à toute personne physique ou morale.

L’intérêt pratique cette notion se trouve dans le cas où une personne n’a plus ou pas d’existence juridique. Il en est par exemple ainsi d’une personne décédée ou d’un groupement sans personnalité (syndicat de copropriétaires par exemple) : une action ne peut pas être engagée à la demande ou contre une personne décédée, ni à la demande ou contre un syndicat de copropriétaire. Un syndicat de copropriétaires est toujours représenté par un Syndic, qui, lui, est doté de la capacité juridique. Concernant la capacité d’exercice, toute personne physique majeure a la capacité d’exercice du droit d’action.

Des aménagements existent pour les mineurs ou majeurs protégés : la capacité d’exercice appartient aux représentants légaux ou tuteurs et curateurs. Concernant les personnes morales, elles sont représentées par leur représentant légal. C’est ce dernier qui a la capacité d’exercice. A noter qu’il y a des règles spéciales en cas de procédure collective.

Les conditions liées à la créance

La créance doit remplir certaines caractéristiques et ne pas être prescrite.

Les caractéristiques de la créance

Tout d’abord, pour poursuivre par voie judiciaire, la créance doit être certaine, liquide et exigible.

Une créance certaine est une créance qui existe de façon incontestable. Il faut donc prouver son existence par la production de documents, si possible signés, tels que devis, conditions générales de vente, bon de livraison, factures.

Ainsi, si le créancier demandeur n’a aucun document signé ou aucun élément permettant de prouver l’existence de la créance, il paraît trop risqué d’engager une procédure.

Un mail ou un courrier actant l’accord du client débiteur de payer peut constituer un début de preuve. Le caractère liquide de la créance renvoie à son montant : il doit être déterminé ou à défaut, déterminable. Le créancier précise les éléments permettant l’évaluation précise de la créance.

Enfin, la créance doit être exigible, c’est-à-dire que la date d’échéance est arrivée.
La créance ne doit toutefois pas être prescrite ! Entre les relances amiables et l’inertie souvent constatée avant la prise de décision pour poursuivre par voie judiciaire, c’est un réel point de vigilance car le temps passe vite !

 

La prescription

« La prescription extinctive est un mode d’extinction d’un droit résultant de l’inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps. » (article 2219 du Code civil).

Si une créance est prescrite, alors le créancier n’aura plus le droit d’agir en justice pour demander la condamnation de son débiteur. Néanmoins, un paiement à l’amiable pourra toujours être demandé.

Concernant les délais de prescription, il existe de nombreux délais particuliers suivant les matières (assurance, location, constructions immobilières, crédit, transport).

Pour le recouvrement de créances, il faut retenir les deux délais suivants :

  • Cinq ans pour une créance entre professionnels.
  • Deux ans pour une créance d’un professionnel sur un consommateur particulier.
Le point de départ du délai de prescription se situe au jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. Pour ce qui concerne le recouvrement de facture, le point de départ du délai de prescription est la date d’échéance de la facture.

Quelle juridiction choisir ?

Une fois la décision prise de poursuivre par voie judiciaire, encore faut-il saisir la bonne juridiction.

Les juridictions ont une compétence d’attribution en fonction de la matière et une compétence territoriale.

La compétence d’attribution

Le recouvrement de créance est une action dite « mobilière ».

Le choix de la juridiction dépend donc de la qualité des parties.

Deux juridictions sont ainsi principalement compétentes : le tribunal judiciaire et le tribunal de commerce.

Le Tribunal judiciaire.

C’est la juridiction de droit commun.

Depuis le 1er janvier 2020, le Tribunal Judiciaire a remplacé le Tribunal de Grande Instance et le Tribunal d’Instance. Ces deux juridictions ont fusionné pour devenir le Tribunal Judiciaire qui connait « de toutes les affaires civiles et commerciales pour lesquelles compétence n’est pas attribuée, en raison de la nature de la demande à une autre juridiction ».

Au sein du Tribunal Judiciaire siège le juge du contentieux et de la protection pour des litiges suivants :
  • crédit à la consommation,
  • surendettement des particuliers,
  • contrat de louage d’immeuble à usage d’habitation,
  • protection des majeurs,
  • expulsion des personnes sans droit ni titre.
Un Tribunal de Proximité existe également dans certaines communes du territoire français : il s’agit des anciens Tribunaux d’Instance situés dans les villes où il n’y avait pas de Tribunal de Grande Instance. Dans les autres villes, le tribunal de proximité constitue une chambre du tribunal judiciaire qui est chargée de traiter les « petits litiges » et notamment les affaires de recouvrement jusqu’à 10 000 euros.

Le Tribunal de Commerce

La compétence du tribunal de commerce est définie aux articles L. 721-1 et suivants et L. 621-2 du code de commerce. Cinq grandes catégories de compétences apparaissent ainsi :
  1. Les litiges entre commerçants pour faits de commerce. Il faut que le litige se rapporte à des actes faits par le commerçant pour les besoins de son commerce.
  2. Les litiges entre artisans.
  3. Les litiges entre associés de sociétés commerciales.
  4. Les actes de commerce entre toutes personnes.
  5. La prévention et le traitement de la défaillance des entreprises commerciales et artisanales.
Lorsque le litige fait intervenir un commerçant et un particulier non commerçant, la règle est la suivante :
Si le demandeur est le particulier, il a le choix entre saisir le tribunal de commerce ou le tribunal judiciaire.
Si le demandeur est le commerçant, il doit saisir le tribunal judiciaire.
 

La compétence territoriale

La règle générale est posée par l’article 42 du code de procédure civile : « La juridiction territorialement compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur ».

Aussi, il convient de préciser la notion de domicile.

Pour les personnes physiques, le domicile est le lieu où la personne a son principal établissement et un établissement stable.

Pour les personnes morales, il s’agit du siège social. Il arrive qu’une personne morale ait plusieurs établissements. Dans ce cas, la personne morale peut être assignée au lieu d’un de ses établissements secondaires aussi bien qu’au siège social, à condition que cet établissement jouisse d’une certaine autonomie et que le litige soit en rapport avec l’activité de l’établissement.

Deux options viennent compléter cette règle générale :

-    Article 42 al 3 du code de procédure civile : « Si le défendeur n’a ni domicile, ni résidence connus, le demandeur peut saisir la juridiction du lieu où il demeure ou celle de son choix s’il demeure à l’étranger »

En cas de domicile inconnu, le demandeur doit justifier de l’impossibilité de déterminer le domicile.  Lorsque la procédure est introduite par voie d’assignation, cette mission revient au commissaire de justice mandaté pour délivrer l’acte.

-    Article 46 du code de procédure civile :  outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, le demandeur peut saisir à son choix « en matière contractuelle, la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l’exécution de la prestation de services ».

Enfin, il est possible de déroger aux règles de compétence par une clause attributive de juridiction dans un contrat.  

Sur l’attribution, de façon très exceptionnelle, il est possible de désigner par une convention la juridiction compétente. Des commerçants peuvent ainsi décider que la juridiction compétente pour trancher un litige sera le Tribunal Judiciaire et non le Tribunal de Commerce.

Sur la compétence territoriale, les clauses attributives de compétence sont possibles :
-    entre commerçants,
-    si elles sont écrites,
-    si elles sont très apparentes dans l’engagement de la partie à qui elle est opposée.

Les conditions sont assez strictes et les juges regardent de près si elles sont remplies. En cas de doute, mieux vaut assigner au domicile du défendeur.

Une fois que toutes les conditions sont remplies pour poursuivre par voie judiciaire et que la juridiction compétente est déterminée, la question se pose de savoir quelle procédure engager : assignation au fond ? référé ? procédure d’injonction de payer ? le choix est avant tout stratégique. Les suites de la procédure et les chances de succès dépendent en partie de la décision prise. L’expérience et la connaissance des procédure sont des atouts non négligeables. Il est donc vivement conseillé de se faire accompagner par un professionnel lorsque la représentation par Avocat n’est pas obligatoire.

Pauline THIBOUT, doublement diplômée d’un Master 2 « procédure civile et voies d’exécution » et du titre de « Responsable gestion et développement d’entreprise », elle est titulaire de l’examen professionnel d’Huissier de justice, métier qu’elle a exercé en tant qu’associée dans une étude grenobloise pendant plusieurs années, experte en matière de procédure civile et de recouvrement judiciaire elle est formatrice dans le cadre des formations proposées par le cabinet CAP RECOVERY, dont elle est co-fondatrice et associée.

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