La journée Crédit du 14 novembre 2013 organisée par l’AFDCC, l’association française des Credit Managers, a été très instructive et génère des interrogations sur la situation des délais de paiement entre professionnels en France et sur la prise en compte par les pouvoirs publics des conséquences de cette situation sur la croissance et la trésorerie des entreprises.
Quel est le comportement de paiement des entreprises ?
Commençons par un constat effectué par Altares. L’été 2013 a connu un record de faillites d’entreprises tant en nombre qu’en taille des sociétés concernées.
Premier facteur responsable de cet état de fait, les retards de paiement sont en moyenne de 15 jours, ce qui égale un record déjà atteint en 2009 et en 2003. Seuls 30% des entreprises paient les fournisseurs à la date d’échéance des factures ! La France est championne d’Europe des « petits retards », c'est-à-dire des retards de paiement de tous montants inférieurs à 15 jours par rapport à la date d’échéance. Or, il a été démontré par Altares qu’une corrélation très forte existait entre ces « courts retards de paiement » et les défaillances d’entreprises, les courbes respectives des deux indicateurs étant presque parallèles. |
Une certaine tolérance malsaine s’instaurerait entre professionnels sur des retards de paiement d’une dizaine de jours. La peur infondée de perdre un client du fait d’un recouvrement de factures exigeant le paiement des factures à la date d’échéance contractuelle freine les fournisseurs dans leurs actions de relance, ce qui contribue à tendre leur trésorerie.
Courbes des petits retards et des défaillances
Cette pré-relance permet d’obtenir une promesse de paiement ou de détecter au plus tôt un éventuel litige.
Des pratiques variables selon les tailles d'entreprises
Cette situation globale présente des réalités différentes selon la taille de l’entreprise. La principale cause des retards de paiement des PME / PMI proviendrait de problèmes de trésorerie. Ces dernières auraient généralement un bon comportement de paiement dès lors qu’elles ont les moyens de payer. Ce n’est pas le cas des Entreprises de Taille Intermédiaire (ETI) et des grandes entreprises dont 8% seulement respectent les dates d’échéances.
Ce constat peut être interprété de manières différentes. Je crois pour ma part que les grandes entreprises ont rationalisé leur comptabilité fournisseurs et leur processus d’achat ces dernières années.
Cela s’est traduit par la mise en place de systèmes informatiques de gestion automatisés qui fonctionnent bien lorsque le processus d’achat a été parfaitement suivi par l’ensemble des intervenants chez le fournisseur (respect des consignes de facturation de l’acheteur) comme chez l’acheteur (création de la commande dans le système, validations débloquantes effectuées en temps et en heure).
C’est rarement le cas, et comme dans le même temps les effectifs dans les services de comptabilité fournisseurs ont chuté et ont parfois été délocalisés, la prise en charge des dossiers litigieux se fait très mal.
Nous avons tous l’expérience de comptabilités fournisseurs joignables uniquement par email (mais qui ne répondent pas) ou le jeudi matin de 8h30 à 11h30 uniquement, horaires ou elles sont submergées d’appels et où il est quasi-impossible d’avoir un gestionnaire au téléphone.
Cette rationalisation a également été réalisée dans les entreprises publiques et les ministères. Ces derniers ont eu en 2011 des retards de paiement de plusieurs milliards d’euros suite à la mise en place d’un système de gestion (projet Chorus, SAP).
Globalement, cette augmentation des retards de paiement influent négativement sur la relation client / fournisseurs, sur la trésorerie des entreprises et sur la croissance française.
Les conditions de paiement ont un effet direct sur la croissance des entreprises et du Produit Intérieur Brut (PIB). Réduisons les délais de paiement en France et la croissance du PIB augmentera mécaniquement. Cette affirmation est tout à fait cohérente (démonstration ici), la baisse des délais de paiement réduit le Besoin en Fonds de Roulement (BFR) des entreprises même si celui-ci s’opère coté crédit clients et fournisseurs, ce qui libère des ressources financières pouvant être consacrées à l’investissement et au développement de l’activité.
Si la LME était respectée, c’est 11 milliards de financement qui seraient transférés aux PME / PMI, soit plus de la moitié des financements directs court-termes octroyés par la Banque Publique d’Investissement (BPI).
Un petit progrès effectué par les établissements publics
Les collectivités locales et l’état sont connus pour être les premiers à ne pas respecter les délais de paiement prévus par la Loi LME.
Si la situation est toujours aussi mauvaise du coté des collectivités locales, l’état (Ministères, armée…) intègre dorénavant automatiquement les pénalités de retard dans les règlements de ses fournisseurs.
Il serait bien sur préférable qu’il paie en temps et en heure mais cette évolution va dans le bon sens et peut contribuer à terme à faciliter l’application des pénalités de retard, disposition légale qui n’est que trop peu respectée par les entreprises (voir les résultats de l’enquête d’Etrepaye.fr à ce sujet).
Les établissements publics devraient montrer l’exemple et payer les factures de leurs fournisseurs aux dates d’échéances contractuelles et légales. Ce n’est pas le cas.
Nous sommes dans une situation incroyable ou l’état français contribue aux difficultés et aux défaillances des entreprises françaises en ne respectant pas les délais de paiement issus d’une Loi qu’il a lui-même promulgué.
En agissant ainsi, il scie la branche sur laquelle il est assit. Encore une fois on constate une sorte d'acceptation tacite de cette situation avec des remarques récurrentes de type : "Nous avons des retards de paiement avec les publics mais au moins on est sur d'être payé".
Evolution des contrôles sur le respect des délais de paiement
La question des délais de paiement est centrale et influe directement sur le développement des entreprises et la croissance d’un pays. La France a par conséquent mis en place des dispositions légales claires qui limitent les délais de paiement et qui luttent contre les retards de paiement avec les principes des pénalités de retard et d’indemnité forfaitaire de frais de recouvrement récemment introduit. Ces principes sont intégrés dans le code de commerce et sont soumis à des amendes pénales et civiles importantes s’ils ne sont pas respectés.
Seulement, le contrôle de ces règles ne fait pas parti des priorités de la DGCCRF. Toute condamnation doit être décidée par un tribunal, ce qui ne facilite pas leur mise en œuvre. La Loi est donc peu appliquée et les retards de paiement atteignent des records. Aucune condamnation n’a été effectuée alors que les obligations légales sont souvent ignorées.
Pour corriger ce problème le gouvernement a intégré dans le projet de Loi Hamon des mesures visant à contraindre les professionnels à respecter les conditions de paiement :
- Production d’une information valable sur le comportement de paiement de chaque entreprise. Les Commissaires Aux Comptes (CAC) devront signaler dans leurs rapports annuels les retards de paiement et si l’entreprise applique ou non la législation sur les délais de paiement.
- Contrôle et sanction : la DGCCRF pourra, dès constatation d’un manquement dont le constat sera facilité par l’information produite par les CAC, appliquer une amende administrative à l’entreprise délinquante. L'amende sera plafonnée à 75 000 euros pour une personne physique et 375 000 euros pour une personne morale.
Cette nouvelle Loi présente un intérêt certain car elle s’applique précisément sur une lacune majeure qui pèse sur les délais de paiement : l’application de la Loi et son contrôle. Sa portée reste limitée notamment concernant l'application des pénalités de retard. Seule l'absence d'insertion dans les documents de vente (CGV, factures...etc.) d'un taux de pénalités de retard conforme est puni alors que c'est bien le paiement des intérêts de retard qui importe.
Espérons néanmoins que cette Loi ne subira pas le sort d’autres législations qui bien que promulguées ne sont pas appliquées dans les faits.
Les conditions de paiement et autres pénalités de retard sont affaire de culture commerciale. Celle-ci doit évoluer et seule une application forte de la Loi peut initier ce changement. Les pouvoirs publics ont un rôle majeur à jouer dans ce domaine si important. Espérons qu’ils seront au niveau auquel nous les attendons.